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"Avec
Patrick Hervelin,
nouveau registre : je m’émerveille, je m’enchante et je souris.
C’est comme à écouter une histoire (vraiment) drôle
ou assister à un spectacle (vraiment) comique. Néanmoins,
je ne me sens ni du côté d’une magie pure, ni du
côté d’une bouffonnerie. L’impression, l’émotion,
la réponse surgie à l’interrogation née de la
riche surprise que provoquent de telles images, se situent sur un
autre plan de sensiblité profonde. Un autre canal de
communication s’est ouvert pour y laisser courir un nouveau flux
de sens imprévisible. Là aussi, je me sens
immédiatement convaincu, nourri intimement,
heureusement, mais par quoi, et pour quoi ? Je propose des pistes,
une seule suffira peut-être. Un humour sarcastique : sait-on
ce que c’est ? Rien qui pousse exclusivement à sourire en tout
cas. La sculpture a un pouvoir d’évocation si
puissant qu’il arrive que des modalités d’expression
inédites, totalement inattendues puissent bouleverser
l’esprit. Je ne résiste pas à l’impatience qui me pousse
à vous parler des ”vaches” d’Hervelin. Vous vous rendez compte
!? Que dire pour être convaincant à mon tour ? Que ce soit
celles que j’ai découvertes la première fois sur un large
plateau d’exposition du Musée des Beaux-Arts d’Epinal, petite
foule colorée paissant une herbe improbable ; ou celles du
groupe de Commercy (*), cette fois plus grosses que nature, et bleues,
d’une couleur vraiment répudiant … la nature ! Devant ces
”vaches”, vous vous sentez haussé à un niveau ontologique
d’expérience du paraître !!! J’ai senti chaque fois
s’éveiller des mémoires d’images et d’émotions
débordant le souvenir du connu : abstraction de l’animal
laitier
familier, animal beuglant, images du croire-savoir inexplicablement
ici élevées au rang d’une féérie. Ce
n’est pas de l’humour, humour de bande dessinée, Franquin y a
fait merveille mais nous ne sommes pas là, et c’est pourquoi
j’ai précisé ”sarcastique”, mais sans grincement non
plus, ni moquerie facile, ni satire d’aucune sorte. Rien de trivial :
une drôlerie ineffable ! J’ai une mini-vache d’Hervelin (photo)
sur la table de mon salon, et je n’en ris jamais. Cette
visibilité de bronze (ô mânes de Rodin !) traduit
fantaisie, gaieté, ce sourire même, quoique
intérieur, qui est d’anarchie masquée, pudique, pas
vraiment provocation, plutôt malice. Beaucoup plus qu’une vache,
fût-elle meusienne ou mutante, de fiction manga, ne laisserait
deviner ! Il y a l’image d’un animal réel ? Prétexte
à jouer, mais à un jeu grave, d’enfant si vous voulez
déjà l’interpréter ainsi, à un jeu grave et
rafraîchissant. Je le répète : ce n’est ni onirisme
ni comedia dell’arte, c’est une révélation
dépourvue de pittoresque, ”comme” la rédemption du
réel-même accordée par la manifestation d’une autre
eccéité de la vache - je dirais donc sa
vaccéité … sans allusion péjorative, c’est
l’absolution totale du concept vulgaire qui est habituellement
attaché à cette bête. Cette petite vache, curieuse,
me regarde et je ne me transforme pas en train qui passe… Elle
m’entraîne plutôt au coeur d’une véracité
inconnue, assurément plaisante, mais capable de signifier un
procès de vie, ordinaire - non, nous n’y sommes plus - bucolique
- non plus, nous
sommes transportés au coeur d’un dynamisme
inconnu de création dépourvu de sens tragique, de
terreur, de désespoir.
Bien loin
des facticités
voyantes d’un certain art contemporain. Hervelin prouve qu’il
est un génie modeste et efficace, en se permettant un peu
d’auto-dérision, de ci, de là, écartant ainsi
toute trace de mélancolie. Il ne prête à aucune
interprétation saugrenue, aucune métaphysique de bazar
(avez-vous jamais entendu parler d’arte povera ?), à mi-chemin
du gag et de l’effronterie calculée. Ses autres animaux, animaux
de La Fontaine qu’il a mis en scène, d’autres animaux
imaginaires, ravissent les enfants qui confient leur enthousiasme
aux parents étonnés qu’ils retiennent par la main !
Si vous voulez prendre mesure de cet art exceptionnel dans des oeuvres manifestant plus de ”gravité”, je vous conseille de faire le tour (physiquement parlant) de ses ”bâtons de pèlerin”, allégories ineffables d’un pélerinage imaginaire - j’ai d’ailleurs photographié un de ces pélerins qui semble aussi bien un bandit de grand chemin - illustrations d’un éden de fruits, de graines, de cosses, de feuillages ébouriffés, éden promis et qui se réalise aux yeux de qui sait voir. Plantez un ces ”bâtons” dans votre jardin, ou pourquoi pas dans votre salon, et votre bonheur est assuré. Vous aurez quitté, dépassé, le problème, l’antienne vieillotte de la mimesis ! Je vais faire cet aveu, au risque d’en choquer plus d’un : j’ai revu dernièrement Arp, Brancusi et la vedette Giacometti et je n’en ai pas reçu un cadeau égal à ceux que je viens de nommer. J’y vois bien la recherche d’une sculpture non-figurative, l’intention d’échapper aux dictats de la figuration en raréfiant les traits, en effaçant tout anthropomorphisme, jusqu’à l’allégorie prononcée et le symbole proclamé - littéralement déchiffrable - mais je n’éprouve pas la délivrance et l’exaltation d’une confrontation à la vérité dite sans conteste. Si ! Dernièrement j’ai découvert Jorge Oteiza (sculpteur espagnol, basque précisément, aujourd’hui disparu : la recherche sur Google offre des résultats fructueux) et ses réalisations spatiales sans volume, sans épaisseur - un souffle - avec leur équilibre et leur gravitation mouvementés, suspendus en des vides qui leur confèrent une grâce dansée, hiératique aussi… C’était important pour moi de le voir, d’éprouver une nouvelle fois à ma vue et à mon affect, ce que pouvait offrir un sculpteur vraiment poète (ou créateur), mariant ”formes et forces” : l’émotion toujours neuve que je n’habite pas un lieu inerte et que ce tellurisme manifesté si visiblement est d’égale substance que la vie qui coule dans mes veines." (*) Il faut louer la ville de Commercy (55) qui a enrichi son espace urbain de sculptures monumentales surprenantes, un ensemble commandé à Milutin Mratinkovic, l’autre à Patrick Hervelin. Un important carrefour où paissent les ‘vaches bleues’ d’Hervelin, un autre où s’élèvent d’immobiles ‘gardiens de conscience’ de Mratinkovic. Deux réalisations sans aucune similitude et néanmoins concourant essentiellement à la même démonstration, à la même célébration, ce qui m’a aussi entraîné à associer leurs auteurs dans cette note. 9 novembre 2007 - R. OILLET
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